Entretien avec Malika Matoub
«On ne peut pas faire le deuil dans le doute»
Malika Matoub, la sœur du rebelle, a très gentiment accepté, avant-hier jeudi, de répondre à quelques-unes de nos questions, malgré toute la pression de l’organisation de l’hommage au monstre sacré de la chanson kabyle, Lounès Matoub, à l’occasion du 17 anniversaire de son lâche assassinat commémoré à Taourirt Moussa Ouamar et ayant drainé des milliers de personnes.
La Dépêche de Kabylie : Tout d’abord merci d’avoir accepté aussi gentiment de répondre à nos questions malgré toute cette pression. Avez-vous fini par accepter le verdict du procès Lounès Matoub ?
Malika Matoub : Premièrement, il n’y a pas eu de procès Lounès Matoub, puisque le jour du procès, en 2011, et toute la presse était présente, ce fut le procès de Malik Medjnoun et Abdelhak Chenoui et non l’affaire Matoub. Durant tout le procès, à aucun moment le nom de Matoub n’a été prononcé. Donc on ne peut pas parler de procès Matoub ! C’était l’affaire du moment c’est tout. A aucun moment, je le répète, le nom de Lounès n’a été cité, la partie civile s’est d’ailleurs retirée disant que c’était le procès Medjnoun-Chenoui qui ont été jugés pour terrorisme, ce n’était pas l’affaire Matoub ! Le procès Lounès Matoub n’a jamais eu lieu, on l’attend toujours !
Même à la lecture du procès verbal du verdict le nom de Lounès n’a pas été cité ? Alors comment qualifieriez-vous ce qui s’est passé à la cour de Tizi-Ouzou ce jour-là ?
Ce ne fut pas le procès Matoub, c’était une mascarade, c’était pour sortir Medjnoun et Chenoui de la détention provisoire qui a duré 12 années, mais à aucun moment il n’a été question de l’affaire Matoub. Il aurait fallu l’audition des témoins, présentation de l’argumentaire, la présence de la partie civile… Il n’y a pas eu tout ça. Jusqu’à maintenant, le procès Matoub dort dans un tiroir. Nous avons présenté une liste de 52 personnes qui avaient avancé des thèses, voire des certitudes sur l’assassinat de Lounès, et le juge instructeur devait les auditionner. Mais il n’y a jamais eu d’auditions des témoins que nous avons présentés et même les riverains de Thala Bounane n’ont jamais été auditionnés. C’était beaucoup plus une affaire de surenchère médiatique et nous, autant que famille, nous sommes restés sur la même position, nous avons demandé une étude balistique, une reconstitution des faits et le jugement des vrais assassins, s’ils ont trouvé réellement les assassins, car au jour d’aujourd’hui, le dossier Matoub est instruit au nom de X !
Et l’étude balistique où est-ce qu’elle en est ?
Nous avons effectivement pris un cabinet privé qui a fait une étude balistique. Cette étude reste privée et nous pensons qu’elle peut avoir un rôle si ouverture du procès il y a. J’espère qu’il y aura des responsables qui auront le courage politique d’ouvrir tous les dossiers qui sont en instance. Mais une chose est sûre, un jour ou l’autre l’affaire Matoub resurgira, si ce n’est pas demain ce sera après-demain, dans 20 ans ou dans 50 ans, parce que c’est une énigme ! Elle fait partie des énigmes de l’Histoire contemporaine de l’Algérie. La volonté politique de rouvrir le dossier n’incombe pas seulement au pouvoir, elle incombe aussi à l’opposition, aux partis politiques, aux ligues des droits de l’homme, aux associations et à la société civile. Il faudrait aussi qu’il y ait une réelle prise en charge de ce dossier pas les sénateurs et les députés. C’est un ensemble, et cet ensemble n’a malheureusement jamais fait quoi que ce soit dans ce dossier.
Cela vous empêche-t-il de faire votre deuil ?
On ne peut pas faire le deuil dans le doute, ce n’est pas possible ! Et je crois que le deuil de Lounès, il n’y a pas que la famille qui ne l’a pas fait. Ses fans et tous ces millions de personnes qui viennent à longueur d’année se recueillir sur sa tombe n’arrivent pas à faire le deuil. D’ailleurs, même s’il y a des travaux universitaires qui se font sur Lounès, il n’y a pas assez de recul, parce que le deuil n’est pas fait !
Evoquons le décès de Djamila Moula, l’ex-femme et, comme tout un chacun le sait, le grand amour du rebelle. Parlez-nous de cette relation.
La relation qu’il y avait entre Lounès et Djamila, je crois que personne ne peut l’illustrer mieux que ce qu’a fait Lounès. Il a parlé de cette relation avec une poésie magnifique et je dirai que Djamila pour Lounès était une muse. Et il est indéniable que même dans son dernière album il lui a rendu hommage, «Ou houdjrar si thadarthiou akan kan akmzaragh» ça veut tout dire. Elle avait une très grande place dans son cœur, même si les circonstances ont fait que chacun d’eux est parti de son côté. Ils avaient gardé de très bons rapports. Et moi, en ce qui me concernait, au delà du fait qu’elle était mon ex-belle-sœur, elle était surtout une fille du village que je connaissais, je connais aussi très bien sa famille. C’est un membre de notre famille villageoise qui est parti et ça me touche énormément. J’ai vécu des moments merveilleux avec elle quand elle était ma belle-sœur.
Le sacre de Nna Aldjia a eu un écho très favorable auprès de tous les présents aujourd’hui. C’est bien mérité ont-ils dit, quand on sait tout ce qu’elle a enduré, n’est ce pas ?!
La fondation Lounès Matoub, en concertation avec ses sympathisants, les fans de Lounès, les membres du comité du village Thaourirt Moussa Ouamar, les citoyennes et citoyens, a attribué le prix du mérite cette année à Nna Aldjia, une maman courage. Nous l’avions attribué en 2004 à Moussa Saib quand il a décidé de revenir de l’étranger pour s’occuper de la JSK, l’un des symboles de la Kabylie et pour nous il méritait le premier prix de la fondation. Ma mère rentre d’une longue convalescence en France et mérite cette consécration car c’est une femme qui a su rester digne même dans la douleur. Elle a lutté pour l’éclatement de la vérité, pour la préservation de la mémoire de son fils et pour honorer son combat jusqu’à épuisement, jusqu’à ce que sa santé la lâche. Elle est allée jusqu’au bout, elle aussi est une résistante, elle est à l’image de ces femmes kabyles dont Lounès disait «Thilawin dhadrar n sbar» (les femmes sont des montagnes de patience). La femme kabyle a de tous temps été courageuse et résistante, elle a résisté au climat rude de Kabylie et à toutes les invasions. En consacrant Nna Aldjia comme lauréate du prix du mérite, c’est aussi un hommage à toutes ces mères des victimes du printemps noir et à celles qui ont perdu leurs enfants dans les émeutes qui ont suivi l’assassinat de Lounès et qui ne sont pas médiatisées, ne sont pas au devant de la scène, pleurant leurs enfants en silence.
La fondation Lounès Matoub a de nouveaux acquis d’après ce que nous avons entendu. Est-ce vrai ?
La fondation Lounès Matoub est actuellement en période de grande mutation. Avec le changement de loi 2012-2013 sur les associations, nous avons eu la possibilité de créer une fondation privée avec un acte notarial, c’est-à-dire sous scellé privé. La fondation a bénéficié d’un certain patrimoine qui appartenait à Lounès et qui est désormais le patrimoine de cette structure. Nous sommes en train de faire des démarches pour obtenir l’agrément et créer un musée privé puisque la loi l’autorise. Et nous avons tous les éléments ici à Taourirt Moussa pour regrouper tous les instruments de Lounès, ses manuscrits, ses différents ouvrages et nous œuvrons dans ce sens. C’est une nouvelle étape pour la fondation et pour faire son travail de mémoire. Depuis 17 ans, cette structure est restée ouverte sept jours sur sept. Nous avons des élus indépendants qui se sont rapprochés de la fondation et nous leur avons présenté un dossier. Ils ont décidé de nous attribuer trois salles de l’école primaire Mebarek Matoub, à côté de la maison de Lounès. Ce sont de vieilles classes et les élèves en auront de toutes nouvelles. Cela ne gênera pas l’école. Nous récupérerons cet espace pour faire un musée et agrandir nos locaux. Nous avons également pu obtenir une auberge de jeunes pour Taourirt Moussa, parce que depuis 17 ans nous recevons des gens d’autres wilayas et même de l’étranger qui dorment à même le sol ou dans les classes. Au bout d’un moment, il faut que l’on respecte les gens qui viennent se recueillir à la mémoire de Lounès. Le projet a été accordé, maintenant nous attendons sa concrétisation. Taourirt Moussa est devenu un lieu de pèlerinage Nous recevons en moyenne 80 personnes par jour depuis 17 ans. Et à chaque occasion, que ce soit le 20 avril ou toute autre date commémorative, nous avons un monde fou. Il faut une infrastructure d’accueil pour leur assurer repos et restauration.
Le mot de la fin sera sur Lounès. Parlez nous de ce qu’il fut…
Ce que je peux dire sur Lounès c’est que, s’il est aimé c’est pour la simple raison qu’il était sincère, honnête et en harmonie avec les engagements qu’il avait pris. Il était le premier à tous les combats. On peut connaître Lounès Matoub à travers sa poésie, même ses tares il les a chantées. Lounès était un livre ouvert, voilà tout !
Propos recueillis par Taous.C